Salomon Tekah, la colère légitime by Khloe Perla Portheault


C’est la seconde fois cette année qu’un policier israélien tue l’un de ses concitoyens.

Je corrige en ajoutant une précision : c’est la seconde fois cette année qu’un policier tue un concitoyen de la communauté israélo-éthiopienne ! Autrement dit, un israélien noir.

Salomon Tekah avait 19 ans, il vivait avec sa famille à Kyriat Haïm, dans la banlieue de Haïfa. C’est là qu’un policier lui a tiré dans la poitrine dimanche soir, et c’est à l’hôpital de Haïfa qu’il a succombé à ses blessures, quelques heures plus tard.

La mort de ce jeune homme a engendré une vague de manifestations violentes dans le pays, et plus particulièrement dans le nord. Et pour cause, les circonstances de cette mort, mais aussi ce déjà-vu, ce ras-le-bol, ce sentiment grandissant pour les israéliens d’origine éthiopienne d’être facilement pris pour cible, victimes de violence policières, ce ressenti que leurs vies valent moins.

En 2015, le décès dans des circonstances similaires de Salomon Tapra, puis une vidéo montrant un soldat noir se faisant physiquement attaquer, puis frapper pendant plusieurs minutes par des policiers caucasiens, avait provoqué la fureur, déclenchant une série de manifestations dans tout le pays, faisant apparaitre au grand jour la discrimination que personne ne semblait – ou ne voulait – voir jusqu’alors.

Après une manifestation très violente à Jérusalem, la suivante, organisée à Tel Aviv, s’était dans l’ensemble bien passée. Les manifestants avaient bloqué plusieurs rues de la ville ainsi que l’autoroute Ayalon dans sa totalité. Et à ma grande surprise, la police n’était pas intervenue et les automobilistes, qui ont pourtant le klaxon facile et peu de patience, n’avaient pas bronché. Certains d’entre eux étaient même sortis de leur voiture pour applaudir. D’ailleurs, dans les rues aussi, les passants majoritairement caucasiens applaudissaient les manifestants, majoritairement noirs. Oui, des heures durant, tout s’est bien passé. Et puis, comme beaucoup, je suis rentrée chez moi, pour constater aux informations que la police essayait alors d’évacuer ceux qui ne voulaient pas rentrer chez eux, ceux qui, blessés dans leur chair, n’arrivaient toujours pas à s’en aller et à arrêter de protester – dans la violence. Et c’est assise sur mon canapé que j’ai été témoin de ces violences. Les journalistes commentaient, la gorge serrée et les larmes aux yeux, ces bien tristes images.

Quatre ans plus tard, on ne constate pas beaucoup de changements, si ce n’est un refus, désormais, de garder le silence face à ces violences policières.

Tué parce que noir ?

Que sait-on des évènements de dimanche soir? Il y avait des jeunes qui se disputaient d’un côté et de l’autre, un policier, pas en service mais armé, qui dit avoir essayé d’intervenir pour les arrêter, sans succès. Le policier aurait reçu un jet de pierre et aurait sorti son arme, craignant pour sa vie, puis tiré. Certaines sources d’informations indiquent que l’officier aurait visé le sol, et que c’est un tir ricochet qui aurait touché Salomon Tekah à la poitrine. Des témoins affirment que le policier ne courrait aucun danger et aurait tiré sur le jeune homme alors que ceui-ci prenait la fuite.

Il s’agit bien entendu de bien comprendre les faits, mais aussi de bien les analyser ! Admettons que le policier, qui n’était pas en service et qui a décidé d’intervenir au sein de ce qu’il décrit comme une altercation entre jeunes, se soit effectivement sentie en danger. Est-ce qu’il aurait ressenti le même danger si les protagonistes n’avaient pas été noirs ? Est-ce qu’il aurait cru nécessaire de sortir son arme ? Ce sont là des questions légitimes. Je dirais même plus, je pense qu’effectivement, cet officier de police, malgré son entrainement et son expérience s’est bel et bien sentie menacé, et que c’est bien là le problème ! Cette forme de racisme inconscient, il est urgent de la reconnaitre si nous ne voulons pas commencer à ressembler aux Etats Unis, où dans certaines villes, un fait similaire – l’une de ces fameuses ‘’bavures policières’’ – se produit chaque semaine.

Bien sûr, qu’il faut attendre les résultats de l’enquête, qu’il ne faut pas se précipiter dans nos conclusions, qu’il ne faut pas juger trop vite ! Bien sûr, que les manifestants de la communauté israélo Ethiopienne, et ceux et celles qui sont venu-e-s les soutenir ne devraient pas faire preuve de violence. C’est d’ailleurs bien ce que nous aurions souhaité de ce policier, c’est ce qu’on est en mesure d’attendre d’un membre des forces de l’ordre entrainé et expérimenté, que de ne pas répondre à une altercation entre jeunes par la violence, en sortant son arme de service et en tirant. Et de la part du gouvernement, c’est de l’action et des changements drastiques qui sont attendus, et vite !

Bien entendu, jeter des pierres ou des bouteilles sur la police et bruler des pneus de voiture n’est pas la solution. Mais quelle est la solution ? Quand une communauté connue pour sa discrétion dans un pays si bruyant n’est pas entendue, a-t-elle d’autre choix que de faire plus de bruit ?

Aujourd’hui de nouveau, les manifestants bloquent les routes pour se faire entendre, écoutons les ! Et demain, joignons-les.

Salomon a été enterré aujourd’hui.

Sur les réseaux sociaux israéliens, les condoléances se succèdent : « Qu’il repose en paix ! ». Mais dans les rues du pays, le message est différent, et il est clair que Salomon Tekah ne pourra reposer en paix que lorsque justice aura été rendue, lorsque sa famille, ses amis, sa communauté et le pays tout entier auront la certitude qu’il a été le dernier citoyen du pays à avoir été tué à cause de sa couleur de peau.


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